L’actrice qui en voulait trop

Fan Bingbing : L’ascension et la chute d’une icône chinoise

La Chine est le premier marché mondial du e-commerce depuis 2014 devant les États-Unis. Dans ce contexte, les influenceurs jouent un rôle clé pour stimuler les ventes. En Chine, les plus connus sont appelés KOL pour Key Opinion Leaders. Aujourd’hui, je vais vous présenter l’un d’entre eux, ou plutôt l’une d’entre elles : Fan Bingbing.

Une icône incontournable

Fan Bingbing est une icône incontournable de la scène chinoise. Née à Qingdao, dans le Shandong, le 16 septembre 1981, Fan Bingbing est une actrice et chanteuse à la fois adulée et controversée. Elle a tourné dans une cinquantaine de films et dans 45 téléfilms ou séries. Icône de mode, Fan Bingbing a été l’égérie de marques comme Louis Vuitton, Guerlain ou L’Oréal.

Mais Fan Bingbing a aussi sa part d’ombre. Son cas est intéressant parmi tous les KOL chinois car il montre que les autorités chinoises n’ont pas du tout l’intention de se laisser déborder par des influenceurs qui deviendraient hors de contrôle.

L’ascension fulgurante

Nous allons le découvrir en retraçant le parcours de Fan Bingbing depuis son ascension fulgurante à la fin des années 90 jusqu’à l’affaire qui a failli stopper sa carrière en 2018. Fan Bingbing a connu une ascension extrêmement rapide depuis ses débuts d’actrice en 1996.

Elle accède à la notoriété en 1998 avec son rôle dans le drama sino-taïwanais “Princess Pearl”. Mais c’est en 2003 avec “Cell Phone”, film qui bat des records au box-office, qu’elle devient une superstar en Chine.

S’ensuivent de nombreux rôles marquants. Dans “Lost in Beijing” en 2007, sa performance dans le rôle d’une femme de province qui s’installe à Pékin avec son mari dans l’espoir d’une vie meilleure est saluée à la Berlinale. En 2011, elle remporte le prix de la meilleure actrice à Tokyo pour “Buddha Mountain” qui suit les aventures d’une jeune femme rebelle et de ses amis.

Enfin, dans “I Am Not Madame Bovary” en 2016, son interprétation d’une femme bafouée et discréditée qui se bat contre la bureaucratie chinoise pour rétablir son honneur lui vaut des récompenses dans les plus grands festivals, comme le Golden Horse à Taïwan ou le festival de Tokyo.

Rayonnement international

Fan Bingbing s’impose aussi à l’international en jouant dans le film français “Stretch” en 2011, dans le blockbuster coréen “Far away, les soldats de l’espoir” la même année, et même dans le film de super-héros hollywoodien “X-Men: Days of Future Past” en 2014.

Elle y interprète Blink, une mutante capable de créer des portails de déformation dimensionnelle et de téléporter des personnes et des objets.

Figure emblématique de la mode

Fan Bingbing n’est pas seulement une actrice et productrice de renom, elle est également une figure emblématique dans l’industrie de la mode. Sa collaboration avec des marques telles que Louis Vuitton, L’Oréal ou Montblanc a non seulement renforcé sa notoriété, mais a eu aussi un impact significatif sur la visibilité de ces marques sur le marché chinois.

Fan Bingbing a ainsi été l’une des premières célébrités chinoises à être associée à la marque Louis Vuitton. Sa présence en tant qu’égérie a aidé Louis Vuitton à renforcer son image et à attirer une clientèle asiatique plus jeune et dynamique. Elle a participé à diverses campagnes publicitaires et événements qui ont attiré l’attention non seulement des fans mais aussi des médias internationaux.

En 2016, par exemple, à Paris, elle a été présente lors de l’inauguration d’une exposition en l’honneur de Louis Vuitton juste après la Fashion Week. Fan Bingbing a aussi été nommée ambassadrice de la marque Montblanc en 2018. Cette collaboration a impliqué plusieurs aspects, notamment la participation à des campagnes publicitaires et la représentation de la marque lors d’événements prestigieux.

Fan Bingbing a été associée à plusieurs produits Montblanc tels que la montre Outer Frame Tourbillon Ultra-thin qu’elle a portée pendant la Fashion Week 2018. Cette montre fait partie de la série Bohème, connue pour son élégance et son design raffiné, ciblant un public féminin.

Influence de KOL

L’impact de Fan Bingbing va bien au-delà des papiers glacés des magazines. En tant que KOL (Key Opinion Leader), elle influence également les tendances et les décisions d’achat. Sa capacité à vendre des produits simplement en les recommandant montre son immense influence.

Par exemple, les produits qu’elle soutient sur des plateformes de e-commerce comme Little Red Book (Xiaohongshu) se retrouvent souvent en rupture de stock peu après ses publications. Ainsi, les masques faciaux et les crèmes qu’elle a recommandés s’arrachent en ligne et hors ligne, au point où elle a plaisanté sur le fait qu’elle ne pouvait plus elle-même en trouver.

Femme d’affaires avisée

Dernier aspect de la carrière multiforme de Fan Bingbing : elle est également une femme d’affaires avisée. Au sommet de sa gloire en 2013-2017, elle trône en tête du classement Forbes des célébrités chinoises les mieux payées. En 2015, elle est même la 4ème actrice la mieux payée au monde. En 2017, Time la classe parmi les 100 personnalités les plus influentes.

Ses activités recouvrent également la production audiovisuelle. En 2007, elle a créé son propre studio. Sa série télé “The Empress of China”, qu’elle produit et dans laquelle elle joue, est la série la plus chère jamais produite en Chine.

Fan Bingbing, on le voit, règne donc sans partage sur le show-business chinois… jusqu’à sa brutale disgrâce en 2018.

Le scandale de 2018

En mai 2018, Fan Bingbing a été impliquée dans un scandale de fraude fiscale qui a mis un coup d’arrêt à sa carrière pendant plusieurs années. Bingbing a été accusée d’avoir utilisé des contrats yin-yang, une pratique par laquelle un contrat officieux fixe le véritable salaire d’un acteur, tandis qu’un autre est communiqué aux autorités fiscales, pour un montant bien inférieur.

Suite à ces accusations, le passeport de Fan Bingbing a été confisqué et la sortie d’un film dans lequel elle devait jouer avec Bruce Willis a été annulée. Fan Bingbing a alors totalement disparu de la scène publique pendant plusieurs mois, suscitant de nombreuses spéculations et inquiétudes sur son sort.

Finalement, en octobre 2018, les autorités chinoises ont annoncé que Fan Bingbing et ses sociétés avaient accepté de payer plus de 800 millions de yuans, à peu près 110 millions d’euros, en pénalités et amendes. Fan Bingbing a ainsi pu échapper aux poursuites pénales.

Mais après ce scandale, sa réputation a été sérieusement écornée. Elle s’est fendue d’une lettre d’excuses sur les médias sociaux, en disant sa honte, en disant qu’elle acceptait les sanctions, et en faisant l’éloge du Parti Communiste.

Impact plus large

Ce scandale a dépassé le seul cas de Fan Bingbing. Son agent a été placé en détention pour complément d’enquête, et quelque temps plus tard, un contrôle fiscal de grande ampleur portant sur les revenus de plusieurs autres célébrités a été mené, permettant au fisc chinois de récupérer pas moins de 1,7 milliard de dollars d’impôts.

Le retour progressif

Heureusement pour Fan Bingbing, les heures les plus dures semblent être du passé. Après cinq ans d’absence, elle a fait son grand retour en 2023 dans le film hongkongais “Green Night”, sélectionné au Festival international de Berlin.

Lors d’une conférence de presse pendant cet événement, elle s’est exprimée avec sérénité sur les hauts et les bas de sa carrière, disant que cette période difficile lui avait beaucoup appris. La même année, elle a aussi fait un retour remarqué au festival de Cannes où elle a fait sensation avec sa robe du styliste et designer chinois Christopher Bu.

Plus récemment, en mars 2024, Fan Bingbing a foulé le tapis rouge des Asian Film Awards à Hong Kong, et a posté à cette occasion une photo devenue virale avec l’actrice sud-coréenne Lee Young-ae.

Son regain d’activité ne s’arrête pas là, puisqu’elle a aussi confié avoir terminé le tournage d’un film hollywoodien, “The Ice Road 2” avec Liam Neeson, attendu pour 2025.

Entre renaissance et prudence

On voit donc que la carrière internationale de Fan Bingbing est bel et bien relancée. En revanche, elle n’est toujours pas en odeur de sainteté en Chine, et elle le sait. Par exemple, pendant les Asian Film Awards à Hong Kong en mars 2024, elle n’a pas osé poster des clichés avec les stars de Hong Kong, craignant peut-être de leur nuire en raison de ses controverses passées.

Leçons et perspectives

Voilà, c’était l’histoire de la chute et de la renaissance partielle de Fan Bingbing. Son destin illustre qu’en Chine, les célébrités ne sont pas au-dessus des lois, et que dans l’Empire du Milieu, on ne plaisante pas avec le fisc.

Avec Fan Bingbing, le pouvoir a voulu adresser un message clair : en Chine, même les plus grandes stars doivent se montrer respectueuses des lois, loyales envers le Parti et témoigner d’une probité exemplaire.

Si le Parti veut garder sous contrôle les célébrités, c’est pour éviter qu’elles ne deviennent trop influentes et ne puissent à terme remettre en cause sa primauté. Mais cela rentre aussi dans le cadre de la politique de moralisation de la vie économique enclenchée par le président Xi Jinping depuis son accession au pouvoir en 2013, illustrée, entre autres, par une vaste campagne anti-corruption.

D’ailleurs, cette volonté de reprise en main par le pouvoir politique ne se limite pas au showbiz. On l’a vu plus récemment dans d’autres secteurs, tels que l’industrie high-tech et l’Internet, comme j’en parlais dans cette vidéo sur le fondateur d’Alibaba, Jack Ma.

Jusqu’où ira cette reprise en main et jusqu’où pourra aller le retour en grâce de Fan Bingbing ? Seul l’avenir le dira. En attendant, je vous laisse découvrir sa filmographie impressionnante. Je vous propose aussi, si vous le voulez bien, de vous abonner à cette chaîne pour découvrir d’autres histoires sur le monde fascinant de la Chine. À bientôt.