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Surrogates (clones) ou la vie rêvée du corps

Affiche du film "Clones" (Surrogates)
Affiche du film “Clones” (Surrogates)

Le 28 octobre 2009 est sorti sur les écrans français Surrogates (dont le titre a été maladroitement adapté en français par Clones), film tiré de la série de comic books éponyme. L’action se passe en 2017 (2054 dans les livres). Dans ce futur pas si lointain, les individus restent chez eux jour et nuit ; ils travaillent, s’amusent, passent du temps avec les autres par l’intermédiaire de robots humanoïdes qu’ils pilotent par la pensée. Un vaste marché s’est organisé autour de cette technologie, dominé par une seule entreprise. L’intrigue se concentre sur l’enquête menée par un détective, Harvey Greer, au sujet de la destruction en pleine ville de plusieurs « clones » à l’aide d’une arme spéciale. De manière incompréhensible, cette destruction s’est accompagnée de la mort simultanée de leur « opérateur» (leur propriétaire). Le fabricant des clones essaie d’étouffer l’affaire, l’un de ses arguments commerciaux étant de permettre aux acheteurs de ses machines de vivre une vie extraordinaire « dans le confort et la sécurité de leur domicile », c’est-à-dire sans aucun risque.

Dans cette civilisation, les corps humains sont singulièrement absents : ce sont des machines qui se déplacent, se parlent, se touchent, font l’amour ensemble, téléguidées par leurs propriétaires à qui ils transmettent toutes leurs sensations. Pourtant, paradoxalement, il n’est question que du corps, qui brillant par son absence, en devient obsédant. Singulière vision du corps que celle que nous propose le film…Mais c’est bien celle qui se prépare dans les bureaux d’études et qui est en train d’être théorisée par tout un courant de pensée.

Le corps, source de tous les risques

En 2017, si les clones ont rencontré un tel engouement de la part des consommateurs, c’est en particulier parce qu’ils permettent de vivre « en toute sécurité ». A notre époque à nous, nous prenons des risques sitôt que nous mettons le nez dehors. Et si la solution était de ne plus sortir de chez soi ? Cela ne suffit pas car dès lors que l’on se lève, on est à la merci des faux pas de l’existence, le premier écueil étant de se lever du pied gauche ! Grâce aux clones, il n’est même plus besoin de se lever. Il suffit de rester allongé, des lunettes spéciales posées sur ses yeux fermés, pour voir tout ce que son clone voit, entendre et sentir tout ce qu’il entend et sent, et pour le contrôler. Dans cette conception, le corps est le maillon faible de la personne humaine, celui par lequel elle est vulnérable, la porte ouverte à tous les accidents, par laquelle la mort peut s’engouffrer à tout instant.

Le corps, objet de toutes les précautions

Parmi tous les avatars que peut prendre la personne (car rien n’empêche d’avoir plusieurs clones, comme on a plusieurs paires de chaussures), le corps est le plus vulnérable et en même temps le plus précieux. Il est le réceptacle de toutes les sensations transmises par les clones. Hors du corps, point de plaisir, même si les protagonistes du film vivent en permanence hors d’eux mêmes dans des machines. Le corps est donc un fardeau indispensable, dont on se passerait bien, mais que l’on entretien quand même a minima. C’est ce qu’illustre la scène dans laquelle Greer, allongé dans son fauteuil, pilote son clone pour lui apporter un verre d’eau.

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Thérèse Raquin

Adaptation au cinéma de Thérèse Raquin par Marcel Carné
Adaptation au cinéma de Thérèse Raquin par Marcel Carné

La lecture de ce roman de Zola m’a frappé parce qu’il est construit comme une démonstration mathématique. Une jeune femme pleine de fougue mais contrariée dans ces élans par une éducation étouffante, mariée à un homme maladif et terne, rencontre un jour un homme sanguin, d’une sensualité brutale. Que va t-il se passer ? La jeune femme et celui qui apparaît au départ comme une brute épaisse deviennent amants ; leurs corps deviennent fous l’un de l’autre. La passion les enchaîne et les pousse au meurtre du mari.

Ils rêvaient de se marier ; mais le souvenir du crime va les hanter, poussant leur cerveau à la folie. Leur corps, marqué par un “remords physique” va endurer d’atroces souffrances. Finalement, ils vont se suicider, seule issue leur apparaissant à cet enfer sur terre.

Ce roman a défrayé la chronique. D’aucuns l’ont jugé immoral. Beaucoup ont critiqué l’absence totale de libre arbitre chez les héros. Pourtant, cette histoire est finalement très morale : le crime ne paie pas, les meurtriers endurent un calvaire. Leur remords a beau être purement physique, c’est quand même un remords. On n’est pas si loin finalement de la morale chrétienne dans ce roman où Dieu est absent.

Il est en revanche surprenant de voir que, paradoxalement, l’ouvrage ne traitant que du corps s’inscrit, par contrecoup, dans la plus pure logique dualiste séparant âme et corps. En rendant volontairement la première absente, Zola indique combien elle est de nature différente du corps. Dans Thérèse Raquin, l’âme brille littéralement par son absence.

En définitive, ce dualisme paradoxal est bien anachronique. Mais l’ouvrage est en revanche toujours d’actualité pour illustrer l’impact d’un milieu ou des circonstances sur la vie des individus.