
Il y a deux réactions possibles face à l’insolente progression des entreprises chinoises de la tech : s’en effrayer, s’en offusquer, crier à la concurrence déloyale ; ou essayer de comprendre les moteurs de cette progression, pour éventuellement s’en inspirer ou la dépasser.

C’est cette deuxième approche qui a présidé à la récente conférence organisée par le G9+ (fédération de 20 communautés de diplômés de l’enseignement supérieur travaillant dans le numérique), sur le thème : “Avance de la tech chinoise : quelle stratégie pour nos firmes ?”
La conférence, co-animée par Didier Carré et Jean-François Vermont, président et vice-président de l’Institut G9+, a permis de mettre en relief plusieurs facteurs clés de succès mis en oeuvre par les entreprises technologiques chinoises, au travers des témoignages de trois intervenants :
- Jean-Paul Larçon, ancien Directeur d’HEC, spécialiste de l’étude des entreprises asiatiques et chinoises, auteur du livre Chinese Multinationals
- Gaston Khoury, ex vice-président de Huawei West Europe et ancien de Nortel Networks
- Ying Liang, CEO II&G
Dans ce billet, nous allons nous arrêter sur cinq de ces facteurs clés de succès : l’importance des investissements en R&D, la stabilité du management, le rôle de l’Etat, la co-innovation avec les clients, la résilience des entreprises chinoises. A la fin du billet, vous pourrez retrouver l’intégralité de la conférence en vidéo, également consultable directement sur la chaîne YouTube du G9+.
L’importance des investissements en R&D
“China is leading or closing the technology gap in e-commerce, fintech, high-speed trains, renewable energy, and electric cars. (…) Alibaba, Didi Chuxing, Huawei, and Tencent are already operating at the global technology frontier.”
La stabilité du management
Gaston Khoury, quant à lui, est revenu longuement sur un facteur clé de succès qu’il a pu constater en première ligne lors de son expérience chez Huawei : la stabilité du management, qui donne aux entreprises chinoises la capacité de se projeter à long terme et de mener une stratégie dans la durée. “Huawei est une société non cotée qui appartient à ses employés, explique Gaston Khoury. Elle n’a pas à répondre aux demandes des actionnaires. Les décisions sont prises au niveau du management, qui est toujours le même depuis la création de la société, il y a bientôt 35 ans.”
Le rôle de l’Etat
Dans les cours et interventions que je donne sur le thème de l’Internet chinois, je souligne toujours le rôle prépondérant de l’Etat, en particulier dans le cadre des grands programmes nationaux lancés régulièrement par le Parti, le dernier en date et sans doute le plus connu étant celui des nouvelles routes de la soie (Belt and road initiative). Ces programmes, repris comme des mantras dans tous les discours officiels années après années, concourent à fédérer l’action de tous les acteurs économiques (entreprises privées, entreprises nationales, universités, médias) dans la même direction, conférant ainsi à l’ensemble de la société chinoise la même stabilité que celle que l’on peut trouver chez un industriel comme Huawei.

Dans ce registre, Ying Liang a souligné que, comparativement à ce qui se passe dans le monde occidental, “les stratégies en Chine sont mises en oeuvre dans un environnement un peu plus stable. (…). Notamment, le 13ème plan quinquennal [qui vient de s’achever] montre que, globalement, le pays a réussi à mettre en oeuvre son objectif de transition d’un développement reposant sur l’industrie manufacturière vers un développement reposant sur le digital. Aujourd’hui, le digital représente environ 35% du PIB.”
La co-innovation avec les clients
Un quatrième facteur clé de succès des entreprises technologiques chinoises auquel on s’attend peut-être moins dans un pays où la présence de l’Etat dans les rouages de l’économie est très forte est leur capacité à co-innover avec les clients, y compris lorsque ces clients sont de grandes multinationales occidentales. Gaston Khoury a partagé à ce sujet son expérience chez Huawei : “Avoir le bon produit au bon prix, c’est bien ; avoir des clients prêts à l’acheter, c’est mieux. Dès 2005, nous avions créé un Joint Innovation Shared Center dans lequel nous travaillions avec les clients pour connaître exactement leurs besoins. Par exemple, c’est en travaillant avec Vodafone que nous avons pu inventer le SingleRAN, une technologie permettant aux opérateurs de supporter plusieurs normes (par exemple la 2G et la 3G) sur le même réseau.”