Depuis une semaine, une polémique (une de plus) secoue l’opinion publique. Cette fois-ci, elle porte sur la “tribune des militaires” publiée le 14 avril 2021 par le Capitaine Jean-Pierre Fabre-Bernadac sur le site place-armes.fr. Signée par une vingtaine de généraux et des milliers de gradés, la plupart à la retraite, et intitulée “Lettre ouverte à nos gouvernants”, elle a défrayé la chronique depuis que l’hebdomadaire Valeurs actuelles s’en est fait l’écho, une semaine plus tard.

Depuis, c’est la foire d’empoigne sur les ondes et sur les médias sociaux entre ceux qui dénoncent une menace de coup d’état et ceux qui soutiennent la démarche de ces militaires, à commencer par Marine Le Pen qui s’est exprimée sur le sujet mardi 27 avril.

L’avenir dira si les sanctions annoncées par le chef d’état-major des Armées à l’encontre des signataires suffiront à éteindre la polémique.  Mais sur le fond, que penser de cette lettre ?

Une lettre qui aurait pu être l’occasion d’un réveil salutaire…

La lettre commence sur une tonalité tragique :

“L’heure est grave, la France est en péril, plusieurs dangers mortels la menacent. Nous qui, même à la retraite, restons des soldats de France, ne pouvons, dans les circonstances actuelles, demeurer indifférents au sort de notre beau pays.”

Comment être en désaccord avec ce constat ? La France est bel et bien en proie à de nombreux périls :

• une crise sanitaire qui s’éternise
• un effondrement économique qui se profile sous l’effet notamment des confinements
• une violence toujours plus présente
• la succession des attentats terroristes
• un recul inédit des libertés publiques et de la liberté de la presse
• un déclin dans de nombreux domaines : économie, éducation, recherche et développement, …
• un patrimoine ravagé, une langue déformée, un peuple méprisé…

Quant au fait que de hauts gradés fassent état de leur attachement sentimental à la France, à leur souffrance quand ils la voient abîmée, c’est plutôt réconfortant. On est loin des campagnes de recrutement récentes de l’armée française, dans lequel sont mises en avant des notions abstraites sans que jamais le mot “France” ne soit prononcé.

… Mais une lettre qui n’aborde que l’un des aspects de la crise actuelle

La montée de l’islamisme, la fragmentation du tissu social en communautés que certains discours montent les unes contre les autres sous couvert de bien-pensance antiraciste ou progressiste, l’augmentation de la violence sont des phénomènes bien réels.

Mais ils ne reflètent qu’une partie des périls qui menacent la France et dont nous avons dressé plus haut une liste malheureusement bien incomplète.

En l’occurrence, le titre qu’a choisi Valeurs actuelles pour reprendre la lettre des militaires est trompeur : “Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants » : 20 généraux appellent Macron à défendre le patriotisme”. Tout d’abord, le mot “patriotisme” n’apparaît pas dans la lettre. Ensuite, défendre la patrie ne se résume pas à lutter contre la violence urbaine, le terrorisme ou le séparatisme religieux.

Le patriotisme consiste plus fondamentalement à défendre d’une part la singularité d’un pays, sa voix unique, son âme propre, et d’autre part les intérêts nationaux. Une politique patriotique nécessiterait ainsi de rendre à la France sa liberté d’action sur la scène internationale, en la délivrant des entraves que lui imposent notamment son appartenance à l’Union européenne et l’orientation atlantiste de sa politique étrangère qui en découle. Elle passerait également par la préservation des activités stratégiques de la France, et en particulier de son industrie militaire et technologique.

Quand les signataires appellent nos gouvernants à “trouver le courage nécessaire à l’éradication de ces dangers”, ils omettent de préciser que cette éradication n’est possible que si la France recouvre sa pleine souveraineté.

Par sa dimension trop exclusivement centrée sur la dimension identitaire des problèmes, la lettre des militaires prête aisément le flanc à sa récupération par certains politiques, et à sa dénonciation par d’autres.